Crépuscules

Les couleurs sont franches. Elles ne mentent jamais. Le rose et l’orange dominent, donnent le tempo. Le changement est d’abord discret, presque invisible. La ligne de l’horizon est la première à se modifier. Elle se durcie comme tracée à la règle par un crayon taillé, presque trop affûté. Alors les couleurs s’affichent. Franches. Elle ne mentent jamais. Le rose et l’orange se mélangent et forment une nouvelle couleur. Cette couleur est inédite. On ne peut la nommer, elle est unique, presque surnaturelle. Puis, tout s’accélère. Les contours s’intensifient. Le vieux chêne découpe sa silhouette toute en lignes courbes mais néanmoins pointues dressée vers le ciel. L’obscurité apparaît. Brutale. Elle naît de la terre. Se propage vers la ligne d’horizon. Alourdie et assombrie tout sur son passage. Vers la fin, les contours sont moins visible. L’obscurité gagne. L’ensemble sombre dans le noir. D’encre.

L’orange apparaîtra en premier, puis viendra le rose. Il naîtra de la périphérie. Frémissement imperceptible. Les deux couleurs célèbrerons leurs noces éternelles par une luminosité nouvelle, embraseront l’horizon. Le vieux chêne sera leur seul spectateur. Placé de dos. Entièrement tourné. Il se montrera imperturbable. Silencieux et immobile il ne dérangera point le bal des deux amants. Tout absorbé par le superbe de la scène, lui non plus ne verra pas l’ombre menaçante s’inviter à la fête. Elle recouvrira de sa cape sombre l’ensemble du tableau. Marquera la fin de ces amours naissantes. Tuera avant qu’il ne soit conçu l’enfant de cette impossible union. Et assignera à la nuit le statut de jour de deuil national. 

Le rose a longtemps été pris pour un signe d’espoir. Il faut bien avouer que l’heure était propice à la mélancolie. L’introspection s’avérait facile. L’orange flamboyant libérait l’esprit. Réchauffait les barreaux de la prison du quotidien, qui cédaient un à un laissant la place au plus doux des rêves, au plus inespéré souhait. C’est à ce moment qu’un froid glacial, pénétrant teintait l’orange et le rose d’un noir d’encre. Il puisait sa force des racines du vieux chêne. Alors, il fallait bien admettre que tout espoir était mort étouffé, sous le linceul de l’obscurité.

Si l’on pouvait séparer sur deux palettes bien distinctes les couleurs formant l’éclat flamboyant du crépuscule , on obtiendrait du rose et de l’orange. Si le ciel n’était pas bleu il y’a fort a parier que le spectacle serait radicalement différent. De même si l’on déroulait le temps a l’envers c’est à dire si le passé se métamorphosait en présent et que le présent se fondait dans le passé, les couleurs sortiraient gagnantes de ce combat pourtant perdu d’avance. Pour autant, cela ne ressemblerait pas tout à fait à l’aube. Le matin les couleurs s’économisent toujours un peu, il faut bien qu’elles durent toute la journée. Au crépuscule tout est plus intense et l’angoisse des adieux et de la nuit rajoute à l’éclat du spectacle.

Regarde à l’horizon! Concentre toi! Fais un effort! Orange, déploie ta tâche étourdissante dans le ciel bleu. Hâte toi de rejoindre le rose car il vous reste peu de temps . Tu vois à présent? Tout est plus net, là, derrière le vieux chêne. Nuit! attends encore un peu je t’en supplie! Patiente! Reste un instant encore sous le froid de la terre entre les racines du chêne! Promet moi de ne pas pleurer tout à l’heure quand la beauté aura basculé dans l’obscurité. Attends patiemment et sans angoisse le lendemain et reviens sans faute admirer le spectacle du crépuscule.

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