Progestérone

C’est l’heure du bain. Mes deux filles barbotent gaiement dans l’eau mousseuse. Elles jouent avec un coquillage ramassé ensemble à la plage. L’image fugace d’un tableau bien connu de la renaissance me traverse l’esprit. La femme dans sa plus belle représentation, forte et fragile à la fois…
— Dis maman ça veut dire quoi féminisme ?
— Euh… je ne sais pas trop, mais assurément maman est féministe (ce mot entendu, répété, remâché jusqu’à n’avoir ni consistance ni saveur résonne cependant comme un compliment dans ma bouche) et toi aussi tu seras féministe
— D’accord… 
Elle me fixe un instant avec un air de pitié tout enfantine puis retourne à ses ablutions.
Ce soir-là, je me dépêche de bâcler la longue liste de mes tâches quotidiennes pour me consacrer à résoudre cette question obsédante. Me voilà donc le nez plongé dans mon vieux dictionnaire poussiéreux.
Petit instant de flottement : À l’heure du tout numérique, comment fait-on déjà pour chercher un mot dans un dictionnaire ? Eurêka : l’ordre alphabétique c’est comme le vélo ça ne s’oublie pas….
Les pages d’une finesse translucide tournent dans un bruissement doux, puis, écrit en gras entre les mots féminiser et féministe j’aperçois enfin l’objet de mon tourment :
Féminisme : nom masculin — ça commence mal — (du latin femina, femme), doctrine — de mieux en mieux —, mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droit des femmes dans la société.
Je ferme les yeux pour mieux me concentrer. Sous mes paupières une horde de femmes aux seins nus part à l’assaut de l’école de la République. Association rapide dans mon esprit que l’on pourrait presque qualifier de douteuse :
République = Liberté = Delacroix = seins…
C’est ça, je ne dois pas être loin… le sein… je touche forcément au but avec ce symbole si fort de la féminité… Je me recentre sur ces amazones des temps modernes, venues expliquer en des termes guerriers à notre progéniture qu’au temps de l’abolition de la théorie du genre, les femmes auraient un rôle et des droits bien spécifiques à leur sexe dans la société ? Ça y est, je n’y comprends déjà plus rien…
Je ne suis pas du genre à me laisser décourager aussi vite. Opiniâtrement, je me lance donc dans une analyse point par point de la définition :
L’amélioration et l’extension des DROITS des femmes dans la société
Mais qu’est-ce que le droit des femmes ? … Le droit au respect ? Le droit à l’égalité ? Le droit de s’exprimer ? Le droit d’être en sécurité ? Bref, j’ai beau me creuser la tête, je ne trouve aucun droit spécifique au sexe « faible » qui sorte de la liste des droits fondamentaux que tout être humain tend à désirer et que les plus belles utopies se targuent de pouvoir offrir à l’ensemble de leurs sujets : femmes, mais aussi hommes, enfants, vieillards…
Le fait d’être une femme offre-t-il le droit de prétendre à plus de droits ou moins de droits que ses semblables ? Bien sûr que non. Affirmer le contraire relèverait purement et simplement d’une discrimination qu’elle soit négative ou… positive. Défendre les droits bafoués ou inexistants est une juste et louable cause. Mais pourquoi la rattacher à un sexe alors qu’elle est profondément universelle ? Je tourne les pages prestement, oui le terme de gérontisme existe, cependant il ne m’a jamais été donné de voir de manifestation de seniors défendant leurs droits, la canne et le dentier à la main…
Ma tâche devient plus ardue quand je m’attelle à l’autre partie de la définition :
L’amélioration et l’extension du RÔLE des femmes dans la société.
Mais quel est donc ce rôle dont les féministes ont l’air de comprendre avec le plus grand naturel tous les tenants et aboutissants ? Je m’interroge longuement. Le rôle biologique de la femme dans la société a été et sera éternellement de donner la vie. J’écarte de mon esprit les romans et films bien connus narrant des gestations extra-utérines… pure science-fiction… La descendance humaine passe par la femme qu’on le veuille ou non. L’acte a été signé en bonne et due forme il y a de cela plusieurs millénaires par un double X en bas de notre génotype. D’ici à affirmer, qu’à l’époque, les signataires de ce contrat auraient peut être un peu profité de notre illettrisme ? Le rôle représentatif et spirituel de la femme dans la société est quant à lui très fort. La société nous veut, tel le vieil oncle d’Amérique, le doigt pointé et culpabilisant : émancipées, autonomes, intelligentes, cultivées, carriéristes, polyvalentes, actives et impliquées, mère, épouses, maternantes, libres et heureuses… La liste me semble vertigineuse. Un homme se doit-il de remplir le même cahier des charges ?
Mon esprit dérive vers ma grand-mère. Elle voit le jour dans les années 1920 il y a presque un siècle. Elle ne fera pas d’études, l’éducation d’une femme à cette époque se résume à devenir une bonne épouse. Ma mère et ses deux sœurs s’inscriront fièrement dans le baby boom de l’après-guerre. Femme au foyer et femme d’intérieur, elle fera de la tenue et de l’entretien de sa maison un art de vivre, un point d’honneur jusqu’à la fin de sa vie. Elle remplira avec fierté et savoir-faire les estomacs affamés de sa tribu, endormira les touts petits, écoutera patiemment et longuement les vagues à l’âme et soignera les bobos.
Plus d’un demi-siècle après, autres enjeux. C’est à moi de faire mes preuves. Je me retourne sur mon parcours. En tant que femme émancipée et libre, je suis passée à travers le rouleau compresseur de douze longues années d’études, avec un beau diplôme au filigrane doré à accrocher au mur de mon bureau, une thèse de plusieurs centaines de pages à ranger dans ma bibliothèque et mon titre de docteur à suspendre à ma fierté. Je suis visiblement plus instruite et diplômée qu’elle n’était, mais suis-je plus féministe ?
C’est certain, une chose nous rapproche. Nous avons, sans nous concerter, choisi le plus beau et le plus difficile métier du monde : celui de prendre soin. Reconnaissons à ma grand-mère l’intelligence d’avoir su le prodiguer à ceux qui comptaient le plus à ses yeux. Finalement nous ne sommes pas très différentes. En bonne élève et sous des prétextes d’émancipation et de liberté, j’ai suivi le chemin de la réussite sociale tout tracé pour moi par la société et les soi-disant féministes. Me voilà promue au rang de super maman, super active. Partout et finalement nulle part à la fois.
Ne serait-ce pas de la dictature bien dissimulée que de nous demander de nous dépasser sans répit, de nous modeler à souhait pour que nous rentrions à tout prix dans le moule dessiné par un féminisme qui ne désire que notre bien ? Je respire enfin :
Non. Indubitablement non, je ne suis pas féministe. Par principe je me suis toujours refusée à toute forme de dictature.
Le vrai féminisme c’est refuser les diktats de la société et des féministes. Par-dessus tout, c’est sortir des sentiers battus, c’est être où l’on ne nous attend pas, c’est être femme tout simplement. Ça ne s’explique pas, ça se ressent.
L’homme qui partage ma vie m’interrompt dans mes pensées :
— Qu’écris-tu ?
— Oh, rien de très passionnant, des réflexions ça et là sur le féminisme.
En homme moderne et soucieux de mettre de l’ordre dans son foyer, il ramasse le dictionnaire qui traine négligemment sur le bureau à côté de moi. Puis, le hissant d’un geste sûr et alerte tout en haut de la bibliothèque il m’invective l’œil brillant d’un clignement complice :
— Ça, on en reparlera quand il faudra porter des choses lourdes »

3 réponses à « Progestérone »

  1. Etonnants ces propos sur le féminisme et la dictature ! Je n’ai jamais perçu chez Simone Weil ou Gisèle Halimi, voire George Sand une propension à la dictature ou à l’exhibition de leurs seins nus.

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    1. C’est le terme de féminisme qui me choque et m’a inspiré ce texte. J’ai un très grand respect pour Simone Weil, Gisèle Halimi et George Sand qui avaient de grandes compétences et n’avaient bien sûr pas besoin de montrer leurs seins pour exister….
      Le féminisme, par le clivage qu’il fait naitre amène à des comportements radicaux comme on peut le voir malheureusement trop souvent. Comme tout les extrémismes, il génère une « bonne » ou « mauvaise » façon de penser ou d’agir en tant que femme.
      C’est pour éviter ce clivage que je préfère employer le terme humanisme (fédérateur) plutôt que celui de féminisme (qui crée de lui même une notion de différence et donc laisse la porte ouverte à l’inégalité)
      Une grande ambassadrice du « féminisme » que je respecte est Fatou Diome. Je la cite :
      « Le féminisme cesse d’être une question à partir du moment où vous avez le courage de mener la vie que vous avez choisit »
      Mais elle en parle bien mieux que moi :

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      1. J’aime bien Fatou Diomé (dont je n’ai lu qu’un livre) et son histoire personnelle est poignante, mais le terme « humanisme » me semble encore plus galvaudé que celui de « féminisme ». Qu’il y ait des excès dans toutes les luttes est une chose, que ces excès conduisent à nier la question sociétale (et non personnelle) de l’inégalité homme-femme en n’est une autre. Mais heureusement nous ne sommes pas en dictature et tous les propos ont droit à l’expression. J’ai plein d’amis anti-masques en ce moment et je ne prends même plus la peine de batailler; je ne sais pourquoi le féminisme m’a chatouillé. Sans doute parce que tu es médecin et que j’aime bien les médecins qui écrivent. Amitiés sororales

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